Répertorié:
Lajoie c. Québec (Commission québécoise d'examen) (C.A. Qué.)
Entre
Denise Lajoie, Appelante (Requérante), et
Commission québécoise d'examen, Intimée (Intimée), et
Le Procureur général du Québec, Intervenant
[1994] A.Q. no 133
No 500-10-000200-939
Cour d'appel du Québec
District de Montréal
Les juges Beauregard, LeBel et Brossard
Entendu: le 14 décembre 1993
Rendu: le 18 février 1994
(31 pages)
Guy Poupart, pour l'Appelante.
Patrice Claude, pour l'Intervenant.
1 LA COUR: Statuant sur le pourvoi de l'appelante, dame Denise Lajoie, contre une décision de la Commission québécoise d'examen prononcée à Montréal le 20 mai 1993 en vertu de l'article 672.54 C.cr., ordonnant la continuation de sa détention mais prescrivant son transfert à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont,
2 Pour les motifs exposés dans l'opinion de monsieur le juge LeBel, déposée avec le présent jugement, auxquels souscrivent messieurs les juges Beauregard et Brossard:
3 ACCUEILLE en partie le pourvoi afin de modifier la décision de la Commission québécoise d'examen prononcée le 20 mai 1993, en lui renvoyant le dossier pour qu'elle examine à nouveau dans les soixante jours la nature et la nécessité des mesures prises à l'égard de l'appelante, en tenant compte des services et des mécanismes disponibles pour encadrer ses rapports avec sa fille à l'extérieur de l'institution de détention.
LE JUGE BEAUREGARD
LE JUGE LeBEL
LE JUGE BROSSARD
4 OPINION DU JUGE LeBEL:-- L'appelante, dame Denise Lajoie, se pourvoit contre une décision de la Commission québécoise d'examen établie en vertu des articles 672.38 et 672.39 C.cr., qui ordonnait la continuation de sa détention dans un hôpital psychiatrique, mais prescrivait son transfert de l'Institut Pinel, où elle était traitée, à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont (m.a., p. 62). Interjeté devant notre Cour, en vertu de l'article 672.72 C.cr., cet appel réclame la révision de la décision et la mise en liberté de l'appelante ou, subsidiairement, la fixation de mesures moins restrictives de sa liberté personnelle. Le Procureur général du Québec est intervenu verbalement, à l'audience, pour contester cette demande.
5 Ce dossier amène notre Cour à examiner l'interprétation et les critères de mise en oeuvre des pouvoirs accordés aux commissions provinciales d'examen, au sujet des personnes à l'égard desquelles a été prononcé un verdict de non-responsabilité pour trouble mental, mais détenues sous mandat du Lieutenant-gouverneur de la Province. Certains arrêts, sur lesquels on reviendra, ont cependant été rendus par d'autres cours d'appel provinciales, à propos de cette question. En substance, l'appelante plaide qu'on a mal interprété et appliqué, dans son cas, le critère de dangerosité requis pour justifier, selon elle, soit la continuation de sa détention, soit des mesures limitatives de sa liberté personnelle.
6 L'examen de cette affaire exigera un rappel des faits à l'origine du pourvoi, l'étude des sources des dispositions législatives sous examen, l'analyse de la décision de la Commission d'examen du Québec et de la preuve présentée au sujet de l'état de l'appelante et de sa détention, ainsi que celle de l'interprétation et de l'application de l'article 672.54 C.cr. Cet examen terminé, on pourra évaluer la validité de la décision prise par la Commission.
L'ORIGINE DU POURVOI
7 L'origine de cette affaire remonte à plusieurs années. L'appelante, maintenant âgée de trente-six ans, avait été accusée, en 1986, de l'homicide involontaire coupable de ses deux enfants. À la suite de la rupture de la relation qu'elle entretenait, depuis quelques années, avec un compagnon, elle avait tué les deux enfants nés de cette cohabitation. On l'acquitta cependant pour cause d'aliénation mentale. Au mois de mai 1987, conformément à la procédure établie alors par l'article 542.2 C.cr., le juge ordonna sa détention au bon plaisir du Lieutenant-gouverneur, qui exigea sa détention à l'Institut Philippe-Pinel, à Montréal.
8 La détention, dans ce milieu hospitalier à sécurité maximum, se continua jusqu'en avril 1989. Dame Lajoie obtint alors un élargissement de l'encadrement de sa détention. On lui accorda finalement son congé définitif de l'Institut Pinel, en septembre 1990, après des congés temporaires de plus en plus longs. Sa mise en liberté ne signifiait pas, cependant, l'annulation ou la levée du mandat du Lieutenant-gouverneur, qui demeurait toujours en vigueur.
9 À la suite de sa libération, dame Lajoie se trouva un emploi. Elle s'engagea aussi dans une relation avec un nouveau conjoint, monsieur William Clarkson, qu'elle épousa. Elle en eut une fille, Laurie, née le 24 février 1992. Malheureusement, des difficultés matrimoniales survinrent peu après la naissance de l'enfant. À l'été 1992, elle expulsa son mari du domicile conjugal. Avertie à la fois par le mari et le père de l'appelante (m.a., p. 2), la psychiatre traitante de l'appelant à l'Institut Pinel, le docteur Renée Roy, craignit une répétition des événements de 1986, se rendit à son domicile après une conversation téléphonique et lui demanda de l'accompagner à l'hôpital. L'appelante y consentit. L'enfant fut confiée à la Direction de la protection de la jeunesse, qui s'occupa de la placer et de la faire garder et suivit son cas à partir de cet incident.
10 À la suite de ces événements, l'appelante resta sous observation à Pinel, pendant quelques semaines. Sa psychiatre traitante, le docteur Roy, conclut que son état n'exigeait pas la continuation d'une incarcération totale. On décida, de concert avec la Direction de la protection de la jeunesse, d'orienter d'abord madame Lajoie vers une maison d'hébergement, la maison Rosalie-Jetté. Elle devait y rester avec sa fille, à mi-temps. Après trois semaines de séjour, on choisit plutôt de permettre à dame Lajoie de s'installer dans un appartement autonome, en prévoyant des visites supervisées de sa fille. Entre-temps, le 24 septembre 1992, elle échouait devant la Commission d'examen dans une tentative pour obtenir la levée du mandat du Lieutenant-gouverneur (voir m.a., pp. 120 et ss.).
11 Au mois de décembre 1992, ce système de visites supervisées se désorganisa totalement. Dame Lajoie n'acceptait plus le cadre fixé pour ces visites et exprimait de vives inquiétudes à l'occasion de celles-ci, sur la qualité des soins donnés à sa fille. Elle refusa de continuer à voir celle-ci dans ce milieu. Pendant la même période, d'octobre 1992 à février 1993, l'appelante continua toutefois à se présenter régulièrement à ses rendez-vous psycho-thérapeutiques, en externe à l'Institut Pinel.
12 Le 10 février 1993, survint l'incident qui déclencha finalement sa réincarcération et les procédures de réexamen de son cas devant la Commission québécoise d'examen. L'appelant fit un appel téléphonique de l'Institut Pinel à la gardienne de sa fille. Cette communication fut interprétée comme un téléphone de menaces. Dans les circonstances, prenant connaissance de l'incident et de ce qu'elle percevait comme une détérioration graduelle de son état psychologique, particulièrement de la réapparition de symptômes paranoïdes, sa psychiatre traitante décida de la réincarcérer, en raison d'un manquement à une condition de sa libération, soit l'interdiction de communiquer avec sa fille.
13 Le 11 mars 1993, la Commission québécoise d'examen tint une première audition. Elle ordonna la détention sans modalités de l'appelante, pour violation de la directive du médecin traitant et pour avoir fait des menaces (m.a., p. 267). Il apparaît que le docteur Renée Roy, analysant les comportements de dame Lajoie, craignait qu'elle ne soit engagée dans un processus psychologique similaire à celui qui avait conduit à la mort de ses deux premiers enfants. Elle estimait que l'appelante constituait, à ce moment, un danger sérieux pour sa fille.
14 Après de nouvelles évaluations psychologiques et psychiatriques, la Commission québécoise d'examen entendit à nouveau l'appelante, le 23 avril 1993. Sa décision du 20 mai 1993 refusa de lever le mandat d'incarcération, confirma la détention de dame Lajoie, mais prescrivit son transfert en interne, à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, en raison de l'impasse apparente dans sa relation thérapeutique avec l'équipe soignante de l'Institut Pinel (m.a., pp. 58 à 84, décision et motifs de la Commission).
LA DÉCISION DE LA COMMISSION QUÉBÉCOISE D'EXAMEN
15 La décision de la Commission, présidée alors par Me Roch Rioux, formée d'avocats et de psychiatres, comme l'exige la loi, analyse longuement la preuve et les observations présentées par l'appelante, son procureur et les représentants de l'Institut Pinel et de la Direction de la protection de la jeunesse. Au cours de ces audiences, la Commission avait pris connaissance d'un ensemble de rapports psychiatriques et psychologiques préparés par les représentants de l'Institut Pinel, notamment la psychiatre traitant depuis plusieurs années dame Lajoie, le docteur Renée Roy, ainsi que sa psycho-thérapeute, la psychologue Nora Dembri. Par ailleurs, le procureur de dame Lajoie avait déposé des expertises psychiatriques des docteurs Maufette et Marquette.
16 Tous se trouvaient présents devant la Commission, le 23 avril 1993. Celle-ci entendit leurs observations et leurs discussions, ainsi que les représentations personnelles de dame Lajoie, comme celles de son procureur. Après un court historique du cas de dame Lajoie (m.a., pp. 64-65), la décision de la Commission analyse les différents rapports psychologiques, notamment ceux du docteur Claude Marquette, expert de l'appelante (m.a., pp. 65-66), et le rapport d'évaluation du docteur Renée Roy, du 16 mars 1993 (m.a., p. 66). Elle souligne que la Commission avait déjà tenu plusieurs auditions, dans le passé, sur le cas de dame Lajoie. Après un nouveau rappel des faits, basé notamment sur une expertise du docteur Marquette, psychiatre, datée du 20 avril 1993, elle revient sur l'analyse de la question en litige. Elle étudie ses fonctions dans le cadre de l'article 672.54 C.cr. et définit ainsi son rôle:
"La Commission doit décider quelle décision devrait être prise qui soit la moins sévère et la moins privative de liberté parmi les trois (3) prévues à l'article 672.54 du Code criminel soit: la libération inconditionnelle, la libération sous réserve de modalités ou la détention de l'accusée dans un hôpital sous réserve ou non de modalités. La Commission, avant de se prononcer sur cette question doit évaluer, pour les raisons exposées plus loin, si Mme Lajoie représente un risque important pour la sécurité du public." (m.a., pp. 69-70) |
17 La Commission estime ainsi que son rôle premier est de déterminer le degré de dangerosité de la personne sous examen pour, ensuite, arrêter les mesures qu'elle estime appropriées au cas. Pour ce faire, elle procède à une analyse détaillée des rapports psychiatriques et des observations de chacun d'entre eux, à partir d'un rapport du docteur Maufette, psychiatre, et note attentivement les craintes du docteur Roy d'un nouveau passage à un acte homicidaire. Elle soulève aussi les difficultés de l'identification de la "dangerosité psychiatrique" (m.a., p. 72).
18 Au moment de l'hospitalisation de l'appelante à l'Hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine, lors des événements de 1986, des diagnostics de troubles psychotiques-paranoïdes avaient été portés. La Commission rappelait que le docteur Maufette, qui avait d'abord écrit qu'il n'avait pas observé de troubles de personnalité paranoïdes en septembre 1992, avait cependant concouru, avec le docteur Roy, au mois de mars 1993, à la suite de nouvelles observations dans un diagnostic de troubles de personnalité paranoïde (m.a., p. 72). Malgré ce diagnostic, le docteur Maufette ne concluait pas toutefois à la dangerosité de dame Lajoie.
19 La Commission reconnaît rencontrer de graves difficultés à identifier le degré de dangerosité de dame Lajoie. Cet exercice était rendu d'autant plus compliqué que, même le docteur Roy, de l'Institut Pinel, reconnaissait que, suivant les critères de la législation provinciale sur la protection du malade mental, on n'aurait pu, dans ces conditions, obtenir une cure fermée. L'état de dame Lajoie ne correspondait pas du tout à ces normes:
"Le Dr Maufette reconnaît avec le Dr Roy que l'évaluation de la dangerosité était un exercice complexe. D'ailleurs, cet exercice peut être rendu d'autant plus complexe lorsque la discussion sur la question de la dangerosité sur le plan médical est abordé sur l'angle de la Loi sur la protection du malade mental L.R.Q. c. P-41. Ainsi, Me Poupart s'adressant au Dr Renée Roy lors de l'audition lui pose la question suivante: |
"Est-ce qu'à l'heure actuelle et dans l'immédiat, Denis (sic) est selon vous un danger pour autrui ou pour elle-même?" |
Ce à quoi le Roy répond: |
"Dans l'immédiat, dans les critères de la cure fermée: non". |
Et Me Poupart de reposer exactement la même question au Dr Maufette et la réponse est: |
"Non". (m.a., p. 73) |
20 Comme le rappelle, à juste titre, la Commission, le présent cas ne soulève pas un problème d'application de la législation provinciale sur la protection des malades mentaux. On interprète ici une notion juridique différente, qui se retrouve à l'article 672.54 C.cr., soit celle du risque important pour la sécurité du public. Selon la Commission, la notion de danger, dans l'article 672.54 C.cr., ne comporte pas un critère d'immédiateté. Elle correspond plutôt à une notion de risque potentiel:
"Nous croyons que la notion de dangerosité à laquelle il a été fait allusion dans cet échange entre le procureur et le psychiatre est une notion clinique tout à fait propre à l'application de la Loi sur le protection du malade mental et à ce titre, elle demeure complètement étrangère à la notion juridique qu'on retrouve dans l'article 672.54 et qui est celle du risque important pour la sécurité du public. La réponse du Dr Roy nous paraît tout à fait claire en ce sens. D'ailleurs cette notion d'immédiateté entre en conflit direct avec la notion du risque potentiel qui fut développé par la jurisprudence telle que nous le verrons plus loin..." (m.a., pp. 74-75) |
21 À l'audience du 23 avril 1993, le docteur Marquette, discutant ses propres observations cliniques, avait reconnu que dame Lajoie pouvait présenter un danger pour son enfant. Il avait cependant soutenu que la présence de la Direction de la protection de la jeunesse était susceptible de prévenir ce risque (m.a., pp. 75-76). En somme, selon ces remarques du docteur Marquette, il n'existerait pas de danger pour l'enfant, en autant qu'on aménagerait des mesures de protection externes. Il entretiendrait des inquiétudes à défaut de celles-ci (m.a., p. 76).
22 De façon générale, au terme de son analyse de la preuve et des rapports, la Commission conclut à l'existence d'un risque pour l'enfant Laurie. Il semble même que la Commission croit à sa présence en dépit des mécanismes de protection établis par la Direction de la protection de la jeunesse. Elle invoque un incident où dame Lajoie avait réussi à faire hospitaliser sa fille par des ambulanciers, en dépit des interdictions de communication directe et du contrôle de la Direction de la protection de la jeunesse:
"De ces témoignages des psychiatres experts ainsi que des autres témoignages qu'ils ont apportés dans la journée et des témoignages apportés par d'autres témoins la commission déduit que Mme Lajoie est en (sic) danger pour son enfant. D'ailleurs, monsieur Normand Osadchuck de la Direction de la protection de la Jeunesse a expliqué à l'occasion de son témoignage que Mme Lajoie avait réussi à passer au travers les mailles de la DPJ notamment en relatant l'incident du 2 novembre 1992 alors que le Lajoie a demandé aux ambulanciers d'Urgence Santé d'intervenir puisque sa fille, d'après elle, souffrait d'un érythème fessier demandant des soins." (m.a., p. 77) |
23 Convaincue qu'il existe un risque pour le public et, plus particulièrement, pour l'enfant Laurie, la Commission veut ensuite déterminer s'il correspond à la notion de risque important pour la sécurité du public, dans l'article 672.54 C.cr. Le risque constaté correspond-t-il à cette notion? La constatation de l'absence de ce type de risque, dans l'interprétation de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans l'affaire Orlowski c. Attorney General of British Columbia (1992), 75 C.C.C. (3rd), 146, l'obligerait à ordonner la libération du détenu (m.a., pp. 78-79).
24 Dans l'interprétation qu'elle donnait de l'article 672.54 C.cr., en s'appuyant sur l'arrêt Orlowski, et, également, sur un arrêt de la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse, Cluney c. The Queen, S.C.C. no 2737, 30 septembre 1992 (m.a., p. 81), la Commission estimait qu'elle n'avait pas à retenir un critère d'immédiateté du danger. Selon elle, la loi, utilisant non pas l'expression "danger" mais "risque", retenait une notion d'un danger éventuel plus ou moins prévisible ou potentiel (m.a., p. 81).
25 À son avis, dame Lajoie continuait à présenter un risque pour son enfant. Ce risque resterait important, en dépit de la présence des mécanismes d'intervention de la Direction de la protection de la jeunesse. Elle estimait que la preuve démontrait un risque significatif d'une répétition des actes posés en 1986. Elle retrouve une analogie importante entre l'évolution de l'état de dame Lajoie et ses attitudes en 1992 et 1993, comme entre la nature des événements qui les ont provoquées et les circonstances qui entourèrent la mort de ses deux enfants, en 1986:
"L'accusée est-elle un risque? |
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Des témoignages, des renseignements décisionnels et de la preuve soumise en commission, celle-ci déduit que Mme Lajoie représente un danger; la commission d'examen ne peut être d'avis que, Mme Denise Lajoie ne représente pas un risque important pour la sécurité publique. D'autant plus qu'il se dégage de cette preuve que Mme Lajoie est atteinte d'une maladie mentale importante, que Mme Lajoie refuse de reconnaître qu'elle est malade, que les circonstances actuelles suivent une orientation identique à celles (sic) qui a mené Mme Lajoie devant les tribunaux, que la présence de la Direction de la Protection de la jeunesse ne fait pas disparaître le risque que représente Mme Lajoie pour son enfant mais qu'elle ne fait que le détourner sans donner l'assurance qu'il soit définitivement écarté. |
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Ce risque est-il important? |
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La Commission est d'avis que ce risque est important puisqu'il s'agit d'une possible actualisation de la répétition de ce qui aura mené l'accusée devant les tribunaux, c'est-à-dire celui de voir se répéter, quant à son enfant actuel, ce qu'elle a fait aux deux auxquels elle a enlevé la vie. En effet, la commission constate que Mme Lajoie a mis fin aux jours de ses enfants dans des circonstances qui se sont détériorées suite à la dégradation de ses relations avec son premier mari Denis. Dans les mois qui ont précédé le délit, elle avait pris la décision de se séparer. Elle a subi une désorganisation psychique importante, elle se sentait à l'époque persécutée, incomprise et menacée. Depuis, la santé psychique de Mme Lajoie a eu des hauts et des bas. Elle ne prend plus de médication, ce qui la ramène à un état de santé qui rappelle celui où elle était lors de la commission du délit. De plus, la dégradation de ses relations avec son mari, Bill Clarkson, et la séparation qui a suivi font naître des circonstances susceptibles d'engendrer les mêmes risques qui ont abouti au décès de ses deux premiers enfants." (m.a., pp. 81-82) |
26 Pour la Commission, le danger d'atteinte à la sécurité de l'enfant impliquerait un risque important pour la sécurité du public, au sens de l'article 672.54 C.cr. Cette constatation interdisait de libérer inconditionnellement l'appelante. Il fallait alors se pencher sur les alternatives prévues à l'article 672.54 C.cr., c'est-à-dire rechercher la mesure la moins sévère. Elle écartait la possibilité d'une libération inconditionnelle. Elle estimait la détention essentielle à une reprise efficace des traitements, ce qui exigerait, selon elle, une hospitalisation d'au moins quelques mois et des traitements à l'interne pour rétablir une relation thérapeutique adéquate entre dame Lajoie et son équipe soignante. Elle voyait dans cette mesure une condition essentielle à la disparition du risque que présenterait, selon elle, l'état présent de dame Lajoie. Elle écartait ainsi la possibilité de traitements externes:
"La solution prévue au paragraphe b) ne paraît pas à la Commission opportune dans les circonstances. En effet, cette libération sous conditions ne contient pas les circonstances nécessaires à une amélioration de la santé de l'accusée, facteur nécessaire pour diminuer le risque qu'elle représente pour la sécurité du public, ni celles nécessaires à la protection de son enfant. |
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Le Dr Maufette, appelé en expertise par l'accusé, est d'avis qu'il est absolument nécessaire qu'il se développe entre le Lajoie et l'équipe chargée de ses soins, un lien thérapeutique comme circonstance essentielle à une reprise efficace des traitements. Or, cet expert, tout en reconnaissant que l'équipe de l'Institut Pinel a traité Mme Lajoie avec compétence, se voit obligé de reconnaître qu'il semble s'être développée, à cause de la condition de Mme Lajoie, une tension entre l'équipe traitante et Mme Lajoie et qu'il y aurait lieu de tenter l'expérience de confier Mme Lajoie à une équipe qui établisse des nouveaux liens thérapeutiques avec l'accusée. Or, le Dr Maufette, à l'occasion de son témoignage, a précisé que ces liens thérapeutiques ne peuvent se lier véritablement qu'après une hospitalisation d'une durée minimale de trois (3) mois. Autrement dit, tant la psychiatre traitante de Pinel que ce psychiatre appelé en se sont d'avis que Mme Lajoie devrait continuer d'être détenue si l'on espère rétablir un lien thérapeutique, seule circonstance qui puisse conduire à une amélioration de sa condition mentale et par voie de conséquence, à la diminution du risque qu'elle représente." (m.a., p. 83) |
27 Ce sont cette décision et ses motifs qu'attaque le pourvoi. Un juge de notre Cour a autorisé celui-ci pour deux motifs connexes: erreur dans l'interprétation des critères d'application des dispositions de l'article 672.54 C.cr. et erreur dans l'émission d'une ordonnance de détention en tenant compte des témoignages entendus et des renseignements obtenus à l'audience de la Commission du 23 avril 1993 (m.a., p. 53).
L'ORIGINE DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES EN LITIGE
28 Ce pourvoi met en oeuvre certaines des nouvelles dispositions législatives adoptées par le Parlement fédéral pour mieux encadrer le pouvoir accordé traditionnellement au Lieutenant-gouverneur d'ordonner la détention sous mandat des personnes acquittées pour cause d'aliénation mentale. À l'origine, bien que se soient établis graduellement des mécanismes de révision administrative des dossiers, le Code criminel accordait, à l'origine, un pouvoir étendu au Lieutenant-gouverneur. Acquitté pour cause d'aliénation mentale, suivant l'article 542(2) C.cr., le prévenu devait être incarcéré. La loi ne donnait aucun choix au juge. Il devait ordonner sa détention suivant le bon plaisir du Lieutenant-gouverneur:
"Art. 542(2) ... s'il est constaté que l'accusé était aliéné au moment où l'infraction a été commise, la Cour, le juge ou le magistrat devant qui le procès s'instruit, doit ordonner que l'accusé soit tenu sous une garde rigoureuse, dans le lieu et la manière que la Cour le juge ou le magistrat ordonne, jusqu'à ce que le bon plaisir du Lieutenant-gouverneur de la province soit connu." |
29 L'article 545(1) C.cr. autorisait le Lieutenant-gouverneur à rendre une ordonnance d'incarcération. Enfin, l'article 547 prévoyait la possibilité de constituer une révision pour réexaminer le cas de détention. Ces commissions remplissaient toutefois des fonctions essentiellement consultatives.
30 L'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés provoqua une contestation judiciaire du système de détention alors utilisé. On attaqua notamment le caractère discrétionnaire de cette détention, qui lui aurait donné un caractère arbitraire, selon l'article 9 de la Charte et aurait porté atteinte à la sécurité des individus concernés, au sens de son article 7.
31 Dans R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, la Cour suprême du Canada réexamina l'ensemble de ce système. Elle ne remit pas en cause la légitimité d'un système de détention pour les fins de protection temporaire du public contre les dangers présentés par un détenu atteint de troubles mentaux et, aussi, la nécessité de périodes d'observation de l'individu (voir l'opinion du juge en chef Lamer, pp. 1015 à 1017). La majorité de la Cour suprême estima que le système purement discrétionnaire alors en vigueur portait atteinte de façon trop lourde aux droits des détenus, même si on concédait que la méthode choisie par le Parlement, c'est-à-dire la détention automatique, favorisait la réalisation d'un objectif rationnel:
"Le moyen choisi par le Parlement, soit la détention automatique, favorise donc l'atteinte de l'objectif de deux façons principales. En premier lieu, les personnes acquittées en raison de leur aliénation mentale, immédiatement soumises à une ordonnance de détention, ne constituent plus, à court terme, un danger pour la société. En second lieu, s'il résulte de l'observation de l'individu en clinique des prédictions plus exactes quant à la possibilité de récurrence de la maladie mentale, la prévention du crime et la protection de la société seront assurées pour l'avenir." (opinion du juge en chef Lamer, p. 1018) |
32 Malgré la reconnaissance de cet objectif, la Cour suprême concluait que l'institution d'une période de détention indéterminée, sans recours clair pour le prévenu, ne respectait pas les dispositions des articles 7 et 9 de la Charte. Elle ne pouvait pas être sauvegardée par l'application de l'article 1 de celle-ci:
"Cependant, le volet atteinte minimale du critère de l'arrêt Oakes, exige que les prévenus acquittés pour cause d'aliénation mentale ne soient détenus que le temps nécessaire pour déterminer si leur aliénation les rend toujours dangereux. Le Parlement a prévu, dans d'autres dispositions du Code criminel, le renvoi sous garde à des fins d'observation psychiatrique pour une période déterminée, ce qui témoigne de sa préoccupation au sujet des problèmes d'ordre constitutionnel que soulève la détention pour une période indéterminée. |
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À titre d'exemple, le renvoi sous garde aux fins d'observation psychiatrique peut être ordonné au moment où l'enquête préliminaire (art. 465); au moment du procès, pour déterminer la capacité de l'accusé (art. 543); au moment de la demande visant à faire déclarer un accusé délinquant dangereux (art. 691); ou au moment de l'appel (art. 608.2). Le libellé de ces dispositions du Code obéit à la même logique: le renvoi sous garde est limité à une période de 30 jours dans la plupart des cas, sauf circonstances exceptionnelles où il peut y avoir prolongation à 60 jours. Sans me prononcer sur la constitutionnalité de ces mesures, l'anomalie que constitue le renvoi sous garde pour une période indéterminée au par. 542(2) démontre clairement que le moyen choisi par le Parlement ne porte pas atteinte aussi peu que possible au droit à la liberté que possède l'appelant en vertu de l'art. 7. |
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En conclusion, le par. 542(2) ne peut être justifié comme étant une restriction raisonnable imposée aux droits que l'art. 7 garantit à l'appelant et il est, en conséquence, inopérant conformément au par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982." (R. c. Swain, (1991) 1 R.C.S. 933, opinion de monsieur le juge en chef Lamer, pp. 1018-1019) |
33 À la suite de cet arrêt, le Parlement du Canada réexaminait l'article 542 C.cr. et adoptait un ensemble de dispositions, que l'on retrouve à la Partie XX.1 du Code criminel (art. 672.1 à 672.95). Il n'est pas nécessaire d'analyser l'ensemble de cette partie qui traite de situations fort diverses, impliquant des aspects divers des problèmes posés par l'évaluation des effets des troubles mentaux des prévenus ou des détenus, sur le fonctionnement du système pénal. Nous intéresse seulement le cas des verdicts d'absence de responsabilité criminelle, en raison d'un désordre mental.
34 En substance, le Code criminel prévoit le maintien d'un système de détention, mais précise et étend les pouvoirs des commissions provinciales de révision. Celles-ci doivent réexaminer périodiquement les cas de détention et peuvent prendre toutes mesures qu'elles jugent appropriées, y compris la libération inconditionnelle du détenu. L'article 672.72 crée, de plus, un droit d'appel à la Cour d'appel de la province à l'égard des décisions de la Commission de révision sur des questions de droit, de faits ou mixtes de faits ou de droit. Cet appel exige cependant une autorisation d'un juge de la Cour. Ce régime corrige les défauts du mécanisme de détention discrétionnaire qu'établissait le régime antérieur. Il entend préserver la sécurité du public, mais il cherche, en même temps, à limiter les atteintes à la liberté des détenus. Il confère un rôle fort important à la Commission de révision, organisme administratif spécialisé. Celle-ci doit évaluer concrètement le cas et, finalement, déterminer si la détention doit se continuer ou si le détenu peut bénéficier de mesures de libération complète ou partielle, ou fixer les modalités d'une libération conditionnelle.
L'INTERPRÉTATION ET L'APPLICATION DE L'ARTICLE 672.54 C.CR.
35 Dans son pourvoi, l'appelante s'attaque à l'interprétation que la Commission a donnée à son rôle dans la mise en oeuvre de l'article 672.54 C.cr. Elle lui reproche d'avoir mal compris son rôle en substituant:
"... son opinion subjective sur ce qui serait cliniquement bien pour elle à son obligation légale en vertu du Code criminel d'évaluer objectivement la question de savoir si elle représente un risque important pour la sécurité du public." (m.a., p. 11). |
36 Sans constat de dangerosité, au sens juridique de cette expression de l'article 672.54, mais en recherchant plutôt une approche clinique qui permettrait de traiter adéquatement l'appelante, la Commission intimée aurait ordonné, sans droit, le maintien de son incarcération. Pour la validité de ce reproche, il faut réexaminer l'article 672.54 C.cr.
37 On doit bien situer ici le rôle conféré à la Commission en vertu de cette disposition. Pour écarter le reproche d'arbitraire administratif que l'on faisait au système antérieur, la Commission intervient périodiquement afin de réviser la détention et ses conditions. Il ne faut pas comprendre cependant que l'imposition de toute mesure de détention ou de restriction de la liberté suppose une constatation ferme d'un état de dangerosité immédiate.
38 Dans l'arrêt Orlowski, le juge en chef de la Colombie-Britannique a bien décrit la structure et le rôle de la Commission de révision. Celle-ci ne procède pas à une analyse centrée uniquement sur la démonstration probante de l'existence d'une menace ou d'un risque important à la sécurité du public. En effet, la Commission ne doit ordonner la libération absolue et inconditionnelle du prévenu que lorsqu'elle conclut à l'absence de danger important. Si elle constate la présence d'un danger immédiat, elle peut choisir la méthode qu'elle estime la plus appropriée pour assurer tant la préservation de la sécurité du public que le traitement et, si possible, la guérison du détenu.
39 Parfois, on se trouve dans des zones grises, où la Commission ne peut conclure de façon ferme à l'absence de danger. En telle circonstance, la Commission prend alors les mesures qu'elle estime appropriée, mais toujours aussi peu restrictives de la liberté que le justifient les circonstances. Paraissent particulièrement appropriées, ces remarques du juge en chef McEachern, dans l'affaire Orlowski sur les fonctions de la Commission:
"In addition, however, the board must also struggle with other questions, and it is not possible to say that any of these factors are free-standing and independent of each other. The legislative objective is to decide what disposition should be made that is the least onerous and least restrictive upon considering the "preamble" factors and the language of s. 672.54. |
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This exercise does not centre only upon whether the accused is a significant threat to public safety. For example, a patient may be perfectly lucid at the time of his disposition hearing yet still be a significant threat because of his history and prognosis. The question of "significant threat", however, is a most important question because Parliament has left the board with no alternative other than absolute discharge, if it has the opinion that the accused is not a significant threat. |
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The language of s. 672.54, however, does not require the board to reach a conclusion, "yes" or "no", as to whether the accused is not a significant threat as some of counsel's submissions suggest. This is because s. 672.54(a) is phrased in such a way that the requirement for an absolute discharge only arises when the board does have the opinion that the accused is not a significant threat. If the board does not have that opinion then it need not order an absolute discharge. |
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In other words, in my view, the board need not order an absolute discharge when it has doubts as to whether the accused is a significant threat or not. The board must affirmatively have an opinion that the accused is not a significant threat before s. 672.54(a) applies. It seems to me, with respect, that if the board is concerned that an accused with an appropriate history is not a present significant threat and will not become one if he continues with prescribed medications, but the board also has the opinion that he may be a significant threat if he does not take his medication, then the board cannot be said to have an opinion that the accused is not a significant threat. The word "threat", in my view, has a future connotation." (Orlowski c. British Columbia, (1992) 75 C.C.C. (3d), opinion de monsieur le juge McEachern, p. 146) |
40 Plus récemment, dans l'affaire Davidson c. Attorney General of British Columbia, C.A.O. 161182, Vancouver Registry, 7 juillet 1993, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique revenait sur ce problème. Une opinion rédigée par le juge Goldie analysait la nature de la procédure de révision prévue à l'article 672.54 C.cr. Elle rappelait qu'il ne s'agit pas ici d'une procédure pénale dans sa nature et ses objets. On se trouve plutôt devant une procédure mixte, à caractère préventif, destinée d'abord à la protection du public mais, aussi, autant que possible, au traitement et à la guérison de l'individu:
"Under s. 672.54 of the Code the treatment of one unable to judge right from wrong is intended to cure the defect. It is not penal in purpose or effect. Where custody is imposed on such a person the purpose is prevention of anti-social acts, not retribution." (opinion de monsieur le juge Goldie, p. 13) |
41 La composition et le rôle dévolus à la Commission confirment la nature de cette procédure. La Commission, organisme spécialisé, faisant appel à la fois à des expertises de nature juridique, médicale ou psychologique, devait choisir à l'intérieur d'un ensemble de mesures possibles celles qui apparaissaient les plus appropriées, en retenant les impératifs de protection du public et de minimisation des atteintes à la liberté de l'individu:
"As its composition and powers indicate, a board of review set up under Part. XX.I of the Code is a specialized administrative tribunal, the skills of whose members provide institutional insight into the legal and medical problems of mental health. It is given inquisitorial powers to summon witnesses and compel them to give evidence. |
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Its task, and here I speak only of a disposition of one found not criminally responsible for a criminal act, is to balance the protection of the society on the one hand and the right of the subject to his or her liberty unless deprived of it in accordance with the principles of fundamental justice. Although the proceedings are informal, a record must be kept such as to provide the basis for an appeal to the Court of Appeal. Post-trial detention is neither arbitrary nor indeterminate. The requirements of s. 672.54 direct the Board to put into perspective the mental condition, goals and needs of the mentally disordered person with the interests of the public and, where an absolute discharge is not warranted, to choose the least onerous and least restrictive conditions on the liberty of that person's liberty. |
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Unlike the polar opposites of conviction and acquittal the options open to the Board where absolute discharge is not an acceptable alternative cover a wide spectrum." (opinion de monsieur le juge Goldie, p. 14) |
42 L'opinion de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans l'affaire Orlowski, explicitée dans l'arrêt Davidson, et endossée par nos collègues de la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse dans Cluney, définit correctement le rôle nuancé et complexe de la Commission. Elle nous met en garde contre le danger de lui conférer un caractère purement pénal et d'imposer la démonstration claire d'un état de dangerosité immédiat comme condition préalable à l'imposition de restrictions à la liberté en vertu de l'article 672.54 C.cr. Il faut plutôt une conclusion d'absence de dangerosité pour que la Commission permette à une personne de sortir complètement du système de contrôle établi à l'origine lors d'un verdict d'absence de responsabilité criminelle pour trouble mental et de l'émission subséquente du mandat du Lieutenant-gouverneur.
43 Sur ce point, devant la teneur du présent dossier, malgré les critiques de l'appelante, on ne saurait conclure que la Commission pouvait reconnaître l'absence de dangerosité au sens de l'article 672.54 C.cr. Le mémoire d'appel contient plusieurs rapports de psychiatres et de psychologues et la transcription des observations présentées par ceux-ci devant la Commission. Ces rapports ou ces représentations, qu'ils proviennent des représentants de l'Institut Pinel ou des experts de dame Lajoie, cherchaient à analyser et à évaluer, aussi exactement que possible, un état psychologique évolutif et complexe. On peut retenir de ces rapports et interventions la présence d'un danger possible, d'une intensité difficilement mesurable et centrée sur l'enfant. Par ailleurs, l'on note que dame Lajoie sut démontrer, avant les incidents de 1992, qu'elle était capable de vivre de façon autonome et de réintégrer le marché du travail.
44 La maladie dont est atteinte dame Lajoie n'est pas facile à identifier. Le pronostic de son évolution demeure incertain. Une chose paraît se dégager de façon probante: même dans les observations de ses experts, on reconnaît que l'état de dame Lajoie comporte un élément de risque pour sa fille, dont l'importance reste discutable. Il appartenait à la Commission de l'évaluer et l'on n'a pas démontré qu'il y ait eu d'erreur dans son interprétation juridique de l'article 672.54 C.cr. ou dans sa définition de son rôle, notamment lorsqu'elle a appliqué l'arrêt Orlowski.
45 La Commission a toutefois conclu à la nécessité d'un traitement en interne donc à une incarcération à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont. C'est sur ce point que se situe la difficulté réelle que pose sa décision. Comme on l'a vu, on peut raisonnablement conclure que dame Lajoie pose un danger pour sa fille. La notion de danger ne doit pas cependant s'évaluer dans l'abstrait, hors de tout le contexte où évolueront dame Lajoie et sa fille. En réalité, la décision de la Commission conclut à l'existence d'un danger important en supposant la faillite de tous les mécanismes d'intervention destinés à la protection de l'enfance et de la jeunesse.
46 Pour apprécier la nécessité de la mesure la plus grave, soit l'incarcération, il fallait s'interroger davantage sur le degré de danger que présentait dame Lajoie, en tenant compte de tous les mécanismes déjà prévus pour protéger son enfant. On a pris, à son égard, la décision la plus restrictive de sa liberté, alors que semblent exister des mécanismes contrôlés par la Direction de la protection de la jeunesse, qui permettent de limiter les contacts avec son enfant ou d'encadrer ceux-ci ou de les interdire totalement, si besoin est. Pour décider, en somme, des mesures appropriées pour dame Lajoie, il fallait replacer cette mère et sa fille dans le contexte réel de leur vie, en tenant compte de ce que pouvait faire normalement la Direction de la protection de la jeunesse. La réévaluation de la dangerosité et du choix des mesures appropriées en vertu de l'article 672.54 C.cr. devrait se faire dans ce cadre. Autrement, pourra-t-on jamais permettre à l'appelante de reprendre sa vie? Si, médicalement, on ne peut se former d'opinion ferme sur la nature et l'évolution de sa maladie, faudra-t-il la détenir indéfiniment, en utilisant les mécanismes de la Partie XX.1 du Code criminel, comme si la société ne prévoyait aucune autre méthode pour contrôler ou réduire le risque appréhendé?
47 Pour ces motifs, je suggérerais d'accueillir en partie le pourvoi. Le dossier serait renvoyé à la Commission québécoise d'examen dans les soixante jours pour qu'elle examine à nouveau la nature et la nécessité des mesures prises à l'égard de dame Lajoie, en tenant compte des services et des mécanismes disponibles pour encadrer, à l'extérieur de l'institution de détention, ses rapports avec sa fille.